Variations impartiales sur la neutralité du médiateur

« Nous touchons un domaine où le plus grand scrupule est de rigueur. » Ph. Jaccottet

Limitée à la médiation en droit public, cet « oxymore mental  » (1), une recherche sur la notion de neutralité révèle aussitôt que le mot neutre n’est guère employé seul : apparaît fréquemment l’unité lexicale « neutre et impartial. » celle ci est volontiers adoptée par les codes de déontologie ou Chartes éthiques (2). Par exemple, le paragraphe §I.3.c de la Charte éthique des médiateurs dans les litiges administratifs précise :  neutre et impartial : Le médiateur doit agir en toutes circonstances de manière impartiale avec les parties et faire en sorte que son attitude apparaisse comme telle. Il se comporte de manière équitable vis‐à‐vis des parties. » (3)

Il n’entre pas dans la présente épure de multiplier les exemples, cependant pour en élargir l’horizon géographique il convient de citer :

  • L'Association du Barreau canadien définit la médiation comme l'intervention dans un litige ou dans le processus de négociation d'un tiers neutre et impartial qui sans pouvoir décisionnel, peut quand même aider les parties en litige à s'entendre pour arriver à un règlement mutuel acceptable des questions en litige. » (4)
  • il est de l’essence de la médiation de reposer sur l’intercession d’un tiers qui aide les parties à trouver une solution à leur différend et il entre dans la définition idéale de cette assistance à la négociation que ce tiers soit impartial et neutre (exigence unanimement reconnue). (5)

Ainsi impartialité et neutralité paraissent intrinsèquement liées en tant que tirées de la nature même de la médiation. Vraiment ?
Étymologiquement le mot neutre vient du latin neuter, neutra, neutrum, « aucun des deux, ni l’un ni l’autre.» Dès sa première édition le dictionnaire de l’Académie française le définissait comme  Qui ne prend point de parti entre des personnes qui ont des interests opposez. Il demeure neutre & laisse les autres s’entre-battre. il veut estre neutre pour se rendre l’arbitre de tous leurs differens.

Quant à impartial, construit comme comme le contraire de partial, du latin pars, une partie, un morceau, une part, une division » est ainsi défini par cette même 1° éd. :  Qui ne prend point les intérêts d'une personne par préférence à ceux d'une autre.

Il ya donc un partage entre les deux notions et ce partage est un partage inclusif.

Sur le partage

La tension entre neutralité et impartialité peut être examinée sous trois aspects :

a) Source écrite versus source immanente.
Que le médiateur se doive d’être neutre semble une évidence. Voire ? Car cette notion ne trouve son fondement dans aucun texte législatif ou réglementaire. L’art. L.213-2 du code de justice administrative se borne à édicter :  Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. Il ne semble pas que le code de procédure civile soit plus exigeant. L’art.3 de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale — la grand mère des médiations au sens de deux codes précités — défini le médiateur comme « tout tiers sollicité pour mener une médiation avec efficacité, impartialité et compétence, quelle que soit l’appellation ou la profession … » en ignorant les mots neutre ou neutralité.

Une explication de ce silence est fourni par le législateur lui même : lors des travaux en commission relatifs au projet de loi visant à reconnaître les métiers de la médiation sociale M. Le député Monnet avait souhaité qu’outre la qualification de tiers impartial et indépendant soit précisé que le médiateur social doive également faire preuve de neutralité. Le rapporteur fonde son refus d’accueillir cette précision sur la considération qu’elle «n’ajoute aucune précision juridique au dispositif, le terme « impartial » répondant à votre souhait et allant même au-delà … Les termes « impartial » et « indépendant » renvoient à des qualités exigées pour tous les types de médiation, notamment la médiation judiciaire. Le terme « neutre » ne renvoie à rien de tel et n’a pas de substance juridique."(6)

La source du devoir de neutralité ne réside donc que dans les codes déontologiques ou les chartes ainsi que dit ci-avant. L’impartialité est, quant à elle, une exigence textuelle, cf. par ex. L’art. 21-2 L. n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative chaptalisé par l’art. 1530 du code de procédure civile ou les deux dispositions précitées de la Directive et du CJA.

b) Pôle positif versus pôle négatif.
Les définitions données d’entrée de propos et extraites de la 1° ed. Du dictionnaire de l’Académie ont évoluée dan le temps. L’édition la plus récente note :

  • Neutre : Qui est extérieur à une discussion, à un débat, qui ne se prononce pas entre deux personnes, deux partis opposés.
  • Impartial : Qui n’est pas partial, qui est sans prévention ou parti pris, qui s’efforce d’être équitable. Dans cette même 9° éd. la partialité, est définie comme la «disposition à montrer, au mépris de la justice ou de l’équité, une préférence ou une prévention marquée à l’égard de quelqu’un ou de quelque chose.»
  • Ces définitions révèlent le partage entre un pôle négatif (neutre, le médiateur s’abstient) et un pôle positif (impartial, le médiateur s’efforce (action)).

c) Norme versus valeur.
Un troisième type de partage s’appuie sur ce propos présentant un colloque intitulé La valeur, les valeurs… le droit (7) : « Si les normes modélisent un comportement et nous indiquent ce que nous « devons faire », les valeurs jouent, quant à elles, un rôle qui semble différent : elles agissent davantage comme des panneaux indicateurs ; elles désignent une certaine direction. En ce sens, elles ne prescrivent pas : elles « inclinent à.»

Cette obligation d’abstention (il ne se prononce pas) présente donc les caractères d’une valeur : en ce sens la neutralité permet au médiateur de subsumer ses valeurs personnelles. S’il peut exister une hiérarchie des valeurs, la neutralité prime dans la bulle de médiation. Il s’agit en effet d’une valeur objective qui vient en surplomb des valeurs subjectives forgées par l’histoire personnelle du médiateur, l’impartialité régit son comportement, ( il s’efforce de …). En cela elle est une norme.

Sur le clinchage

Il existe en effet un rapport entre l’obligation de neutralité et l’attitude impartiale. Comme l’explique le rapporteur public : rester neutre « afin que tout usager se sente à la fois respecté dans sa  liberté de conscience et traité de manière impartiale.(8)»

Il doit donc tailler à la dimension de sa bulle de médiation ce « voile d’ignorance » que Rawls a tissé pour assurer des États justes (9). Ainsi restent à l’écart et l’intime (les traces qu’ont laissé en lui ses expériences spirituelles, affectives, bref l’entier du vivre) et l’universel (les traces de ses culture, croyances, idéologie, bref l’entier du monde) … tout fors les valeurs de la médiation. Ce faisant, s’étant abstrait de ces deux pôles, il assiéra une attitude neutre ; dès lors il peut regarder impartialement chacun des médiés, chacun des acteurs de la médiation présents dans la bulle et se comporter de façon à prévenir tout doute légitime quant au risque de partialité.

Encore faut qu’il veille à prendre toutes précautions propres à éviter que, du fait de sa situation personnelle soit altérée la garantie d’impartialité que tout médié est en droit d’attendre de tout médiateur — ainsi que, le cas échéant, le juge qui l'a désigné. Alors, il doit présenter le profil de l’administrateur webérien en tant qu’il va considérer chacun d’eux « sine ira et studio, quorum causas procul habeo. (10) » Les conditions de l’impartialité sont examinées dans une page spécifique à laquelle il est ici un peu cavalièrement renvoyé.

Mme Frédérique Moulinier-Fuentes note très justement le médiateur "n’est ni indifférent, ni insensible, ni passif mais plutôt à distance et impliqué. Impliqué sur le principe de la médiation, à distance de ses propres croyances pour accueillir et comprendre celles des personnes."(11)


In fine, la figure du médiateur est bifrons. Le médiateur n’oppose pas neutralité et impartialité : figure rawlienne au profil weberien, il les tresse (intégrer et inclure) pour fermement piéter tant sa pratique que son éthique de la médiation.

Notes

1.↑Michèle Guillaume-Hofnung, La médiation, Coll. Que sais-je ?, PUF, 2019

2.↑Cf. également, entre autres, le Code déontologie du médiateur, Accord relatif à la qualité de vie et des conditions de travail portant sur le maintien de relations de travail constructives (05/07/2023).

3.↑Cf.la présentation de cette Charte.?

4.↑Association du Barreau canadien, Rapport du groupe de travail sur les solutions de rechange au règlement des conflits : Une perspective canadienne, 1991, 15., mise à jour en 2006.

5.↑Gérard Cornu, Les modes alternatifs de règlement des conflits. Rapport de synthèse, Revue internationale de droit comparé Année 1997 49-2 pp. 313-323.

6.↑Travaux de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à reconnaître les métiers de la médiation sociale (1208).Rapport n°2109, 16e législature.

7.↑Présentation du colloque La valeur, les valeurs… le droit, campus de Toulon, 28 novembre 2014.

8.↑Conclusions du rapporteur public sous C.E. , 29 juin 2023, n° 459547 463408 (à propos des agents d’un service public).

9.↑John Rawls, A Theory of Justice, Harvard University Prees, 1971 ; Traduction de C. Audard, Éd. du Seuil, 1987.

10.↑« sans colère comme sans faveur, sentiments dont les motifs sont loin de moi » Tacite, Annales, livre I 1 ,1

11.↑ Frédérique Moulinier-Fuentes in Médiation du Rhone

La neutralité est la condition primordiale de l’impartialité.

Le lecteur restera attentif à la circonstance que ces pages personnelles ne sont que le reflet de ce que leur auteur a cru pouvoir comprendre de la médiation.
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